vendredi 2 mars 2007

Qu'est-ce le harcèlement moral stratégique à grande étendue (publié le 22 février 2006 sur mon blog http://harcelementenalgerie.blogspot.com)

Avant d’entamer mon témoignage, je pense qu’il est utile pour sa meilleure compréhension, de reprendre ici des extraits de la réflexion très pertinente faite par Josseline Abadie sur le livre de Marie–France HIRIGOYEN et qui traite justement du harcèlement moral stratégique.
J’ai lu le livre en question et un grand nombre de témoignages des victimes de harcèlement moral. Mais Josselyne Abadie a été la seule, et je l’en remercie, qui a traité du type du harcèlement moral que je subis _ parce que ce n’est pas fini_ depuis plus de quatre années, pas seulement au travail mais partout où je vais, jusque dans le HLM où j’habite, par mes voisins.
En plus des difficultés pour la victime de produire des preuves de ses agressions, il faut signaler que chez nous, en Algérie, le harcèlement moral n’est pas connu du grand public, d’ailleurs il n’existe aucune association qui peut venir en aide aux victimes, et que sa répression n’est pas inscrite dans le Code pénal. Ce qui rend la situation des victimes très difficile, souvent sans issue.

« …Il y a 4 ans MF Hirigoyen avait publié un livre qui avait fait beaucoup de bruit. Dans ce livre, elle analysait les violences insidieuses du harcèlement psychologique à partir de nombreux témoignages aussi bien dans la sphère personnelle que professionnelle des personnes. Elle a mis en avant ces armes de la persécution : un simple mot, un regard, un sous-entendu, qui suffisent au quotidien à briser un couple, ruiner une carrière professionnelle, détruire une vie.
Dans ce deuxième livre "Le Harcèlement moral dans la vie professionnelle / Démêler le vrai du faux" elle centre son analyse sur le monde du travail en visant de discerner sur ce qui est vraiment du harcèlement moral et ce qui n'en est pas dans un contexte où les rôles de victimes et d'agresseur peuvent parfois être imbriqués. MF Hirigoyen fait le point sur les solutions pouvant être apportées de façon corrective notamment par la médiation, ainsi que des propositions pour le préventif.
Le sujet est traité en tenant vraiment compte de sa complexité et de celui du contexte qu'est le monde de l'entreprise et des méthodes de management. Cependant, j'ai décelé quelques ambiguïtés et non-dits pouvant être trop facilement utilisés contre les victimes.
MF Hirigoyen énumère et décrit les différentes formes de harcèlement moral qu'elle a décelés, aussi bien au niveau d'une personne, d'un groupe que du système que représente l'entreprise. Cependant, au-delà de l'entreprise, le système c'est la société et les réseaux, et bien que MF Hirigoyen les évoque, elle ne les analyse pas vraiment et omet de signaler certaines pratiques ; et notamment à quel point certains agresseurs seront protégés, et jusqu'où ses victimes peuvent être harcelées…
Dans les cas de harcèlement stratégique sophistiqué, la pratique consistant à faire passer la victime pour malade mentale est complètement délibérée, et la méthode de harcèlement qu'elle va subir va être complètement préméditée de façon à anticiper et programmer cette issue. C'est à dire que la forme de persécution qui va être infligée à la victime correspondra à s'y méprendre aux perceptions qu'aurait un paranoïaque. Des situations absurdes, agressives, folles, vont êtres créées de toutes pièces et les rôles vont être distribués aux différents acteurs dans ce sens.
Donc tout ce que la personne va verbaliser sera utilisé contre elle, et il sera possible de diagnostiquer une pathologie.
Dans les cas les plus complexes, si la personne est harcelée par un agresseur faisant partie d'un réseau puissant, le périmètre de l'emprise peu vraiment dépasser l'imagination. Cette personne pourra effectivement être mise sous surveillance jusque dans sa vie privée, si on veut être sur qu'elle ne puisse pas sortir la tête de l'eau et ne pas parler.
Surveiller permet d'une part, d'avoir toujours plus d'informations permettant de maintenir et développer le piège autour d'elle, d'augmenter la pression, de l'affoler encore plus, et d'autre part de maintenir en permanence une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Car elle sait très bien que si elle exprime ce qu'elle subi : le fait qu'on la mette à l'écart, que les gens ont des propos ambigus à son égard et font des insinuations, qu'elle est persécutée, elle ne sera pas crédible. Mais si en plus elle ajoute qu'elle est surveillée, elle sait qu'on risque de la prendre (de la faire passer) pour quelqu'un qui délire. Mais justement, c'est parce qu'elle est saine d'esprit qu'elle perçoit toute la folie de la situation, ce qui est extrêmement anxiogène. Cette anxiété, ajouté au stress dû à l'état d'hypervigilance dans lequel la personne se trouve, par nécessité pour assurer sa survie, peut en plus entraîner des troubles. Ces troubles, même s'ils sont dus à la situation de harcèlement, seront pointés du doigt par l'agresseur (ou des complices) pour accrédités la thèse que cette personne est perturbée, paranoïaque. C'est le piège parfait.
A ce stade la victime va donc "avoir le choix", dans cette situation de non-choix, entre se "libérer" et verbaliser ce qu'elle sait être vrai (après tout un processus de prise de conscience et de compréhension) - ce qui veux dire prendre un risque - ou subir la pression c'est à dire se soumettre et s'autodétruire d'une manière ou d'une autre. Dans une telle situation la victime va être la cible de pressions de plus en plus énormes pouvant se terminer : par un suicide, différentes formes d'inhibition, l'apparition de pathologies qui pour le coup deviendront réelles, une attitude de déni de soi-même en oubliant la réalité de la situation ce qui tue à petit feu... ou alors elle trouvera le courage de se battre, de dire l'indicible, d'essayer de faire reconnaître la situation, de faire sanctionner le/les agresseurs et obtenir un dédommagement, ce qui constitue la seule vraie solution mais qui n'effacera jamais ce qu'elle a vécu.
Ce qu'il faut bien savoir, et MF Hirigoyen n'en parle pas dans son livre, c'est que si ces processus de harcèlement stratégique sont si performants, si pervers à l'extrême, c'est qu'ils sont mis au point par des professionnels de la psychologie, qui sont payés pour manipuler, pour livrer le mode d'emploi. Les connaissances déployées en psychologie et en psychiatrie servent aussi à cela, à alimenter le pouvoir. Les professionnels de la psychologie et de la psychiatrie se trouvent donc en amont du processus de harcèlement stratégique et en aval si l'on fait appel à eux pour trouver une solution au problème. Dans ce cas Ils sont en quelque sorte juge et partie puisque ils appartiennent au même groupe professionnel qui fonctionne en réseau (c'est également le cas pour d'autres intervenants) ; et ce, en plus de pouvoir être proches d'autres réseaux transversaux. La question de l'indépendance de l'intervenant médiateur est un problème délicat.
En fait, ces abus sont possibles car l'entreprise se situe à la croisée des réseaux des domaines économique, éducatif, social et médical, de la recherche et des réseaux politiques. Ces méthodes de management et de contrôle politique ont beaucoup de points en commun avec celles pratiquées dans les sectes. Mais dans ce cas elles ne sont pas sanctionnées, bien au contraire, les instigateurs et ceux qui les suivent sont protégés par le système.
Un autre aspect important que MF Hirigoyen occulte c'est l'utilisation des méthodes et technologies de surveillance dans le processus de harcèlement stratégique. Elle mentionne le témoignage (p. 220) d'une personne se plaignant de harcèlement jusque dans sa vie privée avec des écoutes téléphoniques. MF Hirigoyen donne pour seule explication qu'il s'agit d'une psychose, d'un délire de persécution. Ce type de délire existe bien, cependant il ne faudrait pas l'utiliser pour masquer certaines pratiques.
Ces méthodes de surveillance sont bien utilisées…Pour ce qui est des écoutes téléphoniques il suffit d'avoir les bonnes relations pour faire mettre sous écoute une personne désignée….Le fait que ce soit illégal n'est pas un frein pour les personnes ayant du pouvoir qui n'ont pour la plupart aucun sens du respect d'autrui. Leur devise pourrait être : "tout nous est permis du moment qu'on ne se fait pas prendre, que cela ne se sait pas !"….la plupart des gens dont le téléphone est sous écoute, ou l'a été à un moment donné, ne le sauront jamais. Par contre, dans le cadre d'un harcèlement la méthode consiste à ce que la personne s'en rende compte pour augmenter son anxiété, et retourner la situation contre elle si elle parle.
La réalité est que dans notre société n'importe qui peut être surveillé d'une manière ou d'une autre, et il est facile de se procurer du matériel à cet effet en cherchant un peu. La presse s'en fait d'ailleurs souvent l'écho et je suis étonnée que cela ne soit pas parvenu jusqu'aux oreilles de Madame Hirigoyen. Mais bien évidemment dans un tel cas, si la victime se plaint, la réponse sera systématiquement le déni, et de la faire passer pour malade mentale. D'une part, cela touche à un sujet extrêmement tabou, et d'autre part ce serait reconnaître toute l'illégalité de ces pratiques, exposer à des sanctions les personnes responsables et de par le fait restreindre leur pouvoir. Cela reste un secret de polichinelle
Le fait de citer des témoignages très succincts empêche le lecteur de comprendre vraiment le cas exposé. L'interprétation de ce cas s'en trouve donc aléatoire, voire peut être orientée. Cela peut inciter à faire des amalgames, d'autant que Marie France Hirigoyen peut faire "autorité" au regard de sa notoriété. Il y a dans ce livre d'autres descriptions inhérentes à la paranoïa qu'il ne faut pas prendre je pense au pied de la lettre, en voici quelques unes :
- p. 90, "les paranoïaques, au contraire (des personnes harcelées) ne doutent pas. ils affirment et accusent" :
Il est effectif que le doute fait partie du ressenti des personnes harcelées. Cependant, si elles ont dépassé la période de prise de conscience et qu'elles ont pu analyser la situation et la comprendre, elles peuvent arriver à un moment de leur vécu où elles ont éliminé les doutes et avoir réussi à passer d'une attitude passive à une attitude offensive ; ce que l'on ne peut que leur souhaiter. A ce stade, elles peuvent avoir repris de l'assurance et affirmer et accuser à juste titre.
- p. 91, "D'une façon générale les "fausses victimes perverses" sont nettement plus visibles et même spectaculaires que les vraies personnes harcelées car elles n'hésitent pas à faire appel aux médias" :
L'appel aux médias est parfois la seule ressource qu'il reste à une personne harcelée, notamment si elle se trouve dans le cas d'une emprise très étendue au moyen de relations de pouvoir puissantes, des acteurs pouvant être pervertis notamment dans le domaine juridique et social. Rappelons aussi le déni systématique que l'on oppose aux victimes à chaque fois qu'elles essaient de communiquer avec l'agresseur, des intermédiaires, voire avec des intervenants sensés les défendre.
…Ces propos peuvent être trop aisément utilisés contre des victimes qui le sont réellement, même si d'autres paragraphes du livre de MF Hirigoyen expriment le contraire, et le fait est que le sujet est complexe. Si ces informations sont en quantité homéopathique par rapport à l'importance du livre, cela ne réduit pas leur impact potentiel. En effet, nous connaissons l'efficacité de la communication paradoxale, voire subliminale, et à quel point l'opinion publique peut être influencée par des informations diluées. C'est une méthode de conditionnement bien connue.
Si nous faisions une caricature suite à ces propos, nous pourrions conclure : Les victimes n'ont qu'à bien se tenir ! Elles ne doivent pas informer l'opinion publique via les médias, ne doivent pas désigner les agresseurs et leur réclamer de dédommagements ! Les agresseurs auraient tort de ne pas continuer... Bien sûr la réalité est moins tranchée. Mais ...
2 - le système et les méthodes de manipulation
Il existe dans notre société tout un arsenal d'armes occultes, de méthodes de manipulation notamment par la désinformation, la suggestion et les pressions, pour protéger les personnes qui ont du pouvoir afin de perpétuer le système tel qu'il est.
Ce système qui fonctionne pour la maintenance des privilèges au profit des plus nantis, vise à maintenir les personnes moins favorisées à leur place et faire en sorte qu'elles subissent, à faire taire ceux qui dénoncent les pratiques occultes et illicites, qui refusent le "jeu" obscure du système…Il est donc important pour les victimes d'avoir conscience que des intervenants peuvent être manipulés.
MF Hirigoyen cite d'ailleurs le fait que :
- une victime peut-être victimisée secondairement par ceux-là mêmes qui sont censés l'aider, avocats, médecins, associations (p. 374) ;
- - les médecins du travail subissent parfois "des pressions énormes pour ne pas signaler les faits de harcèlement dans leur rapport annuel". (p. 365) ;
- - "Il arrive aussi que le médecin du travail soit lui-même utilisé et manipulé pour médicaliser ou psychiatriser un salarié dérangeant". (P. 368)
- Les psychologues et psychiatres ne sont pas non plus indépendant du système. De tous temps il ont été utilisés, à tous les niveaux, et ont été proches des milieux politiques. Ce sont des psychologues et psychiatres qui sont à l'origine de pratiques monstrueuses perpétrées au nom de "la norme", et en complète violation des droits de l'homme.
…D'autres abus sont couramment pratiqués dans notre société mais de façon plus diluée, plus insidieuse, plus perverse. La menace de la psychiatrisation reste une arme pour contrôler les situations et les personnes. Dans les cas d'internements et mises sous tutelle abusifs, des psychiatres et des magistrats sont corrompus. Des associations existent pour aider les personnes qui se trouvent dans cette situation.
Il ne s'agit pas de diaboliser la psychiatrie, mais de bien avoir conscience à quel point cette discipline touche au pouvoir par excellence puisqu'elle agit directement sur les personnes et leur contrôle, et représente une pièce maîtresse sur l'échiquier du pouvoir.
Si l'entreprise est pointée du doigt pour les cas de harcèlement, elle subit en fait toute la perversité du système dont elle n'est elle-même qu'un élément, un sous-système de notre société. Les relations de pouvoir dans notre société sont bien en amont et au-delà des organisations. Ceci ne diminue cependant en rien la responsabilité des dirigeants d'entreprise et de tous les acteurs qui suivent. Ce climat, qui est le fait de la stratégie, favorise également les égarements individuels.
Mais le fait de désigner si souvent l'entreprise permet de laisser dans l'ombre les responsabilités qui sont à l'origine, et il s'agit là d'une question politique qui.
.....L'expérimentation avec ses investigations fait partie de la stratégie pour augmenter toujours plus la capacité de manipulation et le contrôle des personnes et des organisations.
Les psychologues et psychiatres se trouvent donc, comme on l'a vu précédemment, du côté des instigateurs du harcèlement stratégique, et du côté de ceux qui mènent des actions curatives. La boucle est bouclée…
…En matière de harcèlement stratégique, c'est bien souvent la même chose, puisque la méthode est calquée sur le comportement pathologique du pervers narcissique. A toutes tentatives de faire reconnaître les faits, la réponse est le déni, les manipulations pour étouffer la victime, les menaces implicites ou ouvertes, et notamment celle consistant en lui faire comprendre qu'elle peut être psychiatriser. Il faut bien souligner également à quel point les professionnels de la psychologie sont des experts en rhétorique, que l'on pourrait définir comme l'art d'avoir toujours raison.
Toutes les situations de harcèlement n'ont pas la même complexité et n'entraînent pas toutes la même difficulté au regard des relations de pouvoir, mais il faut être vigilant afin qu'une médiation, ou toute autre action visant à "traiter" le problème, ne soit pas un nouveau piège.
Désigner l'agresseur est difficile puisque souvent le jeux des manipulations place certaines personnes dans une position d'agresseur, mais aussi dans une certaines mesure, dans la position de victime au regard d'une influence subie à un échelon supérieur. Cependant ce constat ne doit en rien servir à la déresponsabilisation des personnes ayant fait le jeu d'un processus de harcèlement, ni permettre que le ou les instigateurs à l'origine de ce processus restent masqués.
Nous savons en effet que la multiplication des intermédiaires sert à protéger l'instigateur aussi bien qu'à déresponsabiliser les intermédiaires, ce qui permet d'obtenir leur complicité (cf. S. Milgram). Tant que tout ne sera pas mis en oeuvre pour mettre à jour la proportion de responsabilité de chaque acteur, pour désigner le ou les instigateurs, sanctionner chacun dans la proportion de son action destructrice (et pas seulement au regard des effets sur la victime), le phénomène ne pourra pas vraiment être enrayé.
Un processus de diagnostic doit donc être mis en place clairement et doit être formalisé et contrôlé afin de limiter les risques de détournement. Même si chaque cas est différent, il y a assez de points communs aux situations pour pouvoir le faire en toute transparence et avec la traçabilité qui s'impose.
Si le regard que je porte sur l'analyse de Marie-France Hirigoyen est critique, il n'en demeure pas moins que je pense que son travail est d'une grande qualité, puisqu'elle cerne de nombreux aspects du problème et fait tomber un bon nombre de non-dits (les notes ici présentes ne sont évidemment pas exhaustives).
Cependant certaines problématiques sont "ignorées".
Je la rejoins parfaitement quand elle affirme : (p. 436)
"Il nous faut ouvrir les yeux et dénoncer les abus de pouvoir, la discrimination et le harcèlement sous toutes leurs formes".
Josselyne Abadie

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